Isabelle Joschke : « C’est l’expérience et la maturité qui fait qu’on se sent à sa place dans la voile ! »

Isabelle Joschke : « C’est l’expérience et la maturité qui fait qu’on se sent à sa place dans la voile ! »

4 novembre 2017 Non Par Florian Polteau

Isabelle Joschke, navigatrice française, va s’élancer dans quelques heures du Havre pour disputer la Transat Jacques Vabre en duo avec Pierre Brasseur. Pour elle qui navigue seule depuis longtemps, c’est une nouvelle expérience qui débute, mais sans aucune appréhension !

Comment s’est passée votre préparation ?

Notre préparation s’est bien passée dans l’ensemble mais elle a débuté assez tard car nous n’avons eu notre bateau que tardivement, et nous avons débuté à naviguer fin avril-début mai. Pour une première sur la Transat Jacques Vabre et une première année en Imoca 60, ça ne fait que quelques mois de préparation et c’est assez court. Du coup, on a beaucoup navigué. Nous avons pu faire une course de qualification en juillet, puis la course du Fastnet au mois d’août et nous revoilà en plein entraînement à quelques semaines du départ.*

Les bateaux ont changé sur la course et vous étiez plus habituée aux courses en solitaire. Qu’est-ce qui change pour vous concrètement ?

Déjà le bateau est beaucoup plus gros que celui que j’avais l’an dernier. L’ancien mesurait 12 mètres et celui-ci en fait plus de 18 ! Donc c’est beaucoup plus physique, ça demande une grosse préparation. J’ai plus l’habitude de naviguer en solitaire, c’est vrai et j’adore ça mais cette navigation en double sur un gros bateau, c’est plutôt une bonne chose car les efforts sont importants. On est assez contents d’être à deux pour résoudre les problèmes techniques. Et puis c’est vraiment intéressant d’apprendre de son coéquipier, on s’enrichit. C’est vraiment un super format.

Vous avez tous les deux votre façon de faire. A-t-il fallu vous adapter aussi à cette façon de travailler ? Est-ce qu’il a fallu faire des concessions sur la vision des choses ?

Je dois dire que j’ai beaucoup de chance car j’ai un coéquipier avec qui c’est très fluide. On a un fonctionnement qui est très cohérent l’un avec l’autre. Et on n’a pas besoin de se recadrer parce que naturellement on fonctionne de la même manière. C’est aussi une des raisons pourquoi on navigue avec Pierre, on se connaît depuis longtemps, on avait déjà navigué ensemble. On a vraiment une même approche des manœuvres, de la stratégie et même de la performance de manière générale. Donc tout ça est très fluide et on n’a aucun besoin de se recaler mutuellement ou régulièrement sur notre fonctionnement. On communique beaucoup et c’est souvent avant les manœuvres qu’on se cale et du coup, on n’a aucun besoin de se recaler derrière.

Quels seront vos objectifs sur cette Transat Jacques Vabre ?

En fait, la donne pour nous, c’est qu’on est bizuts car c’est nouveau pour nous deux de naviguer en Imoca 60. Et en plus on n’a pas le bateau le plus récent de la flotte, il a un peu d’âge. Du coup, on arrive en toute humilité, on ne dit pas qu’on vient là pour gagner. Mais avec Pierre on est vraiment des compétiteurs, et on ne veut pas vendre la peau de l’ours mais on va donner notre maximum et pourquoi pas créer la surprise. Sur la course du Fastnet, on s’est bien débrouillé donc on a de l’envie, on va se battre mais on va rester modestes en termes d’objectifs.

Qu’est ce qui vous a motivé à venir sur cette course, vous qui étiez plutôt sur des courses en solitaire habituellement ?

D’abord, il se trouve que cette course est une des plus grande de la course au large tout simplement. Ce parcours est magnifique et après, lorsqu’on se projette sur un Vendée Globe, on a chaque année un programme dédié et ça, cette course, elle en fait partie. C’est la voie naturelle de mon évolution.

Vous le disiez vous avez eu le bateau tardivement, ce n’est pas un des tops de la flotte. Comment on se prépare à ça: vous avez commencé à travailler avant ou vous avez dû attendre le bateau ?

En fait, on a pas attendu le bateau pour commencer à travailler ensemble. Là où on est aujourd’hui, c’est quelque chose qui se prépare depuis 10 ans. Concrètement, il y a deux choses, d’abord le fait d’être sur un Imoca 60, j’ai dû faire beaucoup de préparation physique, notamment ces dernières années mais surtout l’hiver dernier. Et puis en attendant notre bateau, on a fait des régates, avec Pierre ou avec d’autres coéquipiers parce que la voile c’est un apprentissage permanent et on y a engrangé chacun de l’expérience et quelques automatismes aussi.

Pourquoi avoir mis l’accent sur une préparation physique particulière pour cette course ?

C’est le plus gros bateau sur lequel j’ai navigué pour l’instant et surtout, il est très puissant. Il est très large et va très vite aux vents de travers donc il y a un effort sur les voiles qui est monumental. Les voiles sont beaucoup plus lourdes que celles de bateaux que j’avais avant. Certaines sont plus lourdes que moi et si je ne me trompe pas, la plus lourde doit faire 80 kg donc c’est presque une fois et demie mon poids. Donc une manœuvre c’est fatiguant, en enchaîner plusieurs ça l’est encore plus et imaginez sur toute une traversée de l’Atlantique comme ça ! Ça demande à la fois de la force et de la résistance sur la durée.

C’est là aussi l’avantage d’être à deux, il y aura des phases de récupération plus longues qu’en solitaire ?

L’avantage surtout c’est qu’on va pouvoir faire les manœuvres à deux et ce sera deux fois moins fatiguant . Lorsqu’il y aura une voile lourde à transporter, on le fera à deux. Quand il faudra que je la transporte toute seule, ce sera deux fois plus dur !

Generali vous suit depuis plusieurs années maintenant. Comment se matérialise cette aventure avec eux ? Que vous apporte cette entreprise au quotidien ?

Generali est à l’origine de ce projet, déjà. Ce sont eux qui apportent les moyens financiers pour qu’il ait lieu, et ils nous apportent énormément de soutien moral aussi ! Et puis surtout, ils nous suivent dans cette aventure qui est de promouvoir la mixité, il faut savoir que c’est une entreprise très engagée sur cette question. Et c’est pour ça que le bateau et le projet s’appellent Generali Horizon Mixité. C’est ce qui apporte aussi du sens à notre projet.

On voit depuis quelques années que les femmes trouvent de plus en plus leur place dans la voile. C’est quelque chose que vous constatez ?

C’est vrai que qu’on démarre dans ce métier, on ne sait pas trop si on doit travailler plus pour prouver qu’on est légitime. On ne sait pas trop comment se positionner dans ce monde très masculin mais avec l’expérience, on se rend compte que les femmes marchent aussi bien que les hommes dans la voile. On a rien à prouver de supplémentaire, c’est l’expérience et la maturité qui fait qu’à un moment, on se sent naturellement à sa place dans la voile. C’est pourquoi je dis à toutes les jeunes femmes qui se lancent dans ce métier d’être à leur place tout de suite, de ne surtout pas attendre longtemps avant d’avoir prouvé, gagné et de se sentir légitime dans ce métier.

Aujourd’hui vous faites partie de ces navigatrices qui sont tout le temps sur le pont, et assez souvent mises en avant. Vous avez conscience d’avoir un rôle à jouer auprès du grand public ?

Je pense que c’est important qu’il y ait des navigatrices, qu’il y en ait le plus possible, qu’elles rencontrent un maximum de jeunes femmes, d’enfants, qu’elles témoignent de comment ça se passe dans le monde de la voile et qu’elle fassent passer le message que c’est possible, que c’est un rêve que tout le monde peut avoir. L’objectif de l’association Horizon Mixité c’est de faire ça, de montrer, témoigner et donner envie. Il y a un certain nombre de femmes ou de filles qui se disent que ce n’est pas fait pour elle, c’est trop physique… et pourtant elles adoreraient le faire.

« Faites-le » c’est ça le slogan en fait ?!

Oui c’est ça : allez-y osez, lancez-vous, il n’y a pas de frein !!!

Il y a une journée dédiées aux enfants sur cette Transat, est-ce aussi un moment important pour eux, pour vous, avec des messages à faire passer ?

C’est important de leur montrer qu’on peut vivre ses rêves, vivre de ses rêves et vivre des aventures. Ça permet de leur apprendre à s’autoriser à rêver. Le fait qu’il y ait des équipages mixtes c’est aussi très bien pour les habituer. Il y a des hommes et des femmes qui sont skippers, et voilà, ils vont trouver ça normal et ça va les sortir un peu des préjugés.

Ce qui est génial avec les enfants, c’est leur vision très simple des choses mais aussi parfois très juste, et parfois inattendues, et il faut répondre à tout !

En général ils posent des questions très justes, et la simplicité c’est très important et il y a des fois où on s’en éloigne un peu trop.

* Interview réalisée fin septembre 2017.