Johanne Defay : « Garder la motivation »

Johanne Defay : « Garder la motivation »

6 octobre 2018 Non Par Florian Polteau

Quelques jours avant le début du Roxy Pro France sur la côte landaise, nous avons rencontré Johanne Defay, la seule Française du Championship Tour de surf, qui pointe actuellement au 6e rang mondial. La surfeuse réunionnaise nous a accordé une demi-heure d’entretien où nous avons abordé tous les sujets : la compétition, les difficultés de sponsoring et l’état du surf dans son île, entre autres.

Vous êtes la meilleure surfeuse française actuellement, vos résultats réguliers depuis plusieurs saisons prouvent que vous avez votre place parmi les meilleures mondiales, comment arrivez vous à rester aussi constante ?

C’est un peu compliqué d’y répondre… Je pense que, déjà, je suis toujours motivée, j’adore ce que je fais, j’adore la compétition. Mine de rien, les deux ou trois premières années j’ai appris plein de choses, je me stabilisais aussi : intégrer le fait de voyager tout le temps, arriver à gérer les échecs… Cette année, j’ai la sensation d’évoluer plus facilement tout au long de la saison, de mieux intégrer les échecs, de mieux les vivre en tout cas, faire en sorte que ce soit un peu plus « normal. » Voilà, garder la motivation. Mes proches adorent toujours ce que je fais, ils me soutiennent donc je suis aussi bien entourée, j’ai des sponsors qui marchent et comme j’ai eu des périodes sans partenaire, là, forcément ça me motive d’autant plus que ça se passe bien. Les résultats continuent et quand on gagne on se dit « voilà je suis toujours là. » J’adore m’entraîner, j’adore tout ce que je fais autour pour m’améliorer dans mon surf. J’y prends du plaisir donc c’est ce qui est important.

Avec trois victoires en carrière sur le Championship Tour, vous visez forcément plus dans les années à venir ?

Oui c’est ça, chaque année je me dis qu’il en faut au moins deux, qu’il n’en faut pas qu’une. Pour le moment je me maintiens, je fais TOP 5 / TOP 10 et c’est déjà super mais il faut quelque chose en plus si je veux atteindre une TOP 4 ou 3 et voir plus loin. Bon, après, c’est encore autre chose aussi. Il y a une grosse différence entre TOP 5 et 10, et le TOP 3 où il y a vraiment beaucoup plus de régularité. Il y a plein de petits trucs, ça se joue à pas grand chose mais c’est dans quelques séries où tu t’en rends compte et à la fin de l’année tu te dis « Ah oui non mais là j’ai pas fait ci, j’aurais du faire ça… »

Ça se joue aussi à l’expérience car on voit que les surfeuses du TOP 3-4 sont là depuis plusieurs années alors que votre arrivée sur le CT est encore récente.

Oui ça joue aussi. Il y a également le travail du matériel, quelle planche te va mieux pour ce spot là, selon les conditions… C’est un choix difficile et tu ne fais pas toujours la meilleurs pour chaque type de conditions. Toutes ces choses entrent en compte et je suis déjà contente d’arriver à me maintenir à ce niveau. C’est plutôt cool.

Comment abordez-vous l’épreuve du Roxy Pro qui va débuter sur la côte landaise dans quelques jours ?

Plutôt sereinement car je sais que je suis pratiquement qualifiée pour l’année prochaine, et c’est rassurant à deux épreuves de la fin. Et je sens que je vais pouvoir plus apprécier la compétition. Moi, je travaille à la pression, j’ai besoin de pression mais il faut trouver la limite entre la bonne pression et celle où tu peux sortir du tour, c’est plutôt chaud. Donc je suis très contente d’être en France, de surfer devant le public français. J’espère que ça va bien se passer.

Avec vous Pauline Ado mais aussi Maud Le Carr ou encore Justine Dupont, on a le sentiment que le surf féminin français progresse, qu’est-ce qui lui manque encore pour que vous arriviez toutes à rester au plus haut niveau ?

De manière générale, le surf féminin, et on le voit depuis plusieurs années déjà, fait énormément de progrès. Il y a plus de professionnalisme, plus de discipline. Tout le monde met plein de choses en place pour y arriver. Je pense que ça c’est un gros changement. Tu ne peux plus y arriver toute seule. Tu as besoin d’un coach et d’un entourage. Ce qui manque… Je ne sais pas. C’est compliqué, il y a trop de choses qui entrent en compte et puis bon, parler de Pauline ou Maud et dire qu’il leur manque ci ou ça ce n’est pas vraiment mon rôle…

Il manque peut-être un peu de chance aussi non ?

Oui. Il y a tellement de choses qui entrent en compte dans ce sport. On dépend des conditions, des blessures. Par exemple, le WQS, la deuxième division, je n’ai rien fait cette année parce qu’à chaque compétition où j’étais, il n’y avait rien, 20 cm de vagues. Alors que l’année dernière j’étais première du classement en gagnant deux compétitions et en faisant une finale dans une autre parce qu’il y a avait plus de conditions et c’est ce qui me convient le mieux. Il peut y avoir des années où tu as plus de chance de ce coté-là. Quand arrive le moment où tout est réuni, c’est le bon moment et il ne faut pas se louper.

Ça reste quand même plaisant de voir que les Françaises brillent. L’an dernier, aux Championnats du Monde ISA, vous avez fait le doublé avec Pauline Ado Championne du Monde et vous sur la deuxième marche du podium. Il y a eu le titre collectif avec l’équipe de France mixte, ça prouve que le surf français se porte plutôt bien.

Oui mais il faut bien préciser et bien comprendre qu’en surf il y a deux circuits. Le pro avec la World Surf League et sa 2e division (le WQS). Et l’ISA. Aux Mondiaux ISA l’année dernière, il y avait très peu de têtes d’affiche donc clairement… Il ne faut pas se voiler la face, ça ne représente pas la même chose. Après c’est vrai qu’on a beaucoup de Français très bons, chez les garçons notamment avec Joan Duru, Jeremy Florès, Michel Bourez qui est tahitien mais bon c’est comme les Hawaïens, avec la perspective des JO, il va être français et ils seront américains.* On se rend compte que c’est possible… quand j’étais plus jeune, il n’y avait que Jérémy sur le Championship Tour et c’était un peu un extraterrestre. Aujourd’hui on sent qu’on peut plus arriver et j’espère que ça va donner envie aux jeunes d’y arriver aussi, de se dire que c’est possible.

* En surf, Hawaï et la Polynésie Française sont considérés comme des Nations, mais pas aux JO.

Il y a un truc qui est motivant aussi pour les surfeuses c’est que la WSL a fait un grand pas vers une meilleure équité en annonçant les mêmes prize money pour les hommes et les femmes en 2019, c’est forcément une excellente nouvelle pour vous ?

Oui c’est ce qu’on se disait avec Sage Eriksson qui a eu un moment sans sponsor elle aussi, Paige Hareb et une autre surfeuse qui en ce moment n’ont plus de sponsors. C’est dur. Donc si dès le départ on est mieux payées, on s’en sort mieux. Une saison ça coûte très cher, on voyage aux quatre coins du monde pour les compétitions, on loue des logements à des périodes de l’année qu’on ne choisit pas donc c’est pas toujours donné. D’autant que ça tombe souvent sur des périodes de vacances scolaires donc si tu ne veux pas être à 1h30 du lieu de compétition, tu prends un truc cher. On loue les voitures pour se déplacer, on paye notre nourriture… Tout ça cumulé représente de très gros coûts donc clairement ça va changer beaucoup de choses et c’est assez incroyable que la WSL ait mis ça en place comme ça sur un coup de tête en disant « voilà on veut être le premier sport à faire ça. » C’est juste incroyable car, et c’est le cas dans tous les sports en fait, les sacrifices sont les mêmes chez un homme ou chez une femme. Je ne suis pas là à dire qu’on est meilleures que les garçons ou quoi, mais nos contraintes et notre investissement sont exactement les mêmes.

Pauline Ado nous a dit un jour que pour être surfeuse pro, il fallait aussi avoir des compétences en comptabilité, logistique et organisation pour effectuer les voyages et surfer dans les meilleures conditions possibles. Est-ce aussi votre cas ?

(Rires) Je me souviens, une fois, j’ai appelé une agence de voyage en disant « voilà je pars d’Australie pour aller en Nouvelle Zélande et ensuite je devais aller à Rio puis repasser par les Fidji » et la dame en face me dit « les Fidji ça s’écrit comment ? C’est où déjà ? » OK, je lui ai dit de laisser tomber que j’allais me débrouiller. Ce n’est pas évident il faut toujours chercher les meilleurs billets, les meilleurs logements c’est difficile !

Ce que nous avait dit Pauline aussi c’est que sur certaines destinations, vous connaissez un surfeur ou une surfeuse qui peut vous héberger ou alors vous faites coloc’ avec d’autres. Vous faites ça aussi ?

Oui oui, on essaie. Quand Pauline était sur le Tour, on voyageait ensemble c’était super sympa. Pour le logement, c’est mieux de prendre un truc plus grand où on arrive à avoir chacun son espace et de diviser ensuite les frais. Cette année, j’ai voyagé un peu avec Carissa Moore, c’était sympa aussi mais je ne l’ai pas fait tout le temps.

D’ailleurs, côté organisation, le calendrier devait changer en 2019 et on n’a toujours rien vu passer. C’est toujours prévu ?

Alors, oui, mais pas en 2019. Ils devaient le changer mais avec l’arrivée du surf aux JO en 2020, ils se sont dit qu’avec la période des JO, ils ne pourraient plus faire ce qu’ils avaient prévu à ce moment. On aurait fait nos 6 mois à fond comme ils avaient prévu et on serait arrivés claqués aux JO. Par contre, ils ont rallongé la trêve, on va commencer à en avril au lieu de mars.

Quand vous êtes arrivée en sur le CT c’est par l’aide financière d’un autre surfeurs français, Jérémy Florès, que vous avez pu concourir. Comment ça s’est passé ?

En fait, Jérémy m’a aidé à prendre les billets d’avion en début de saison pour aller en Australie, faire quelques voyages, c’était sympa de sa part.

Vous avez eu pas mal de soucis pour financer vos premières saisons sur le circuit pro, est-ce que c’est toujours le cas aujourd’hui ? On a pas mal d’exemples de surfeuses sans sponsors, ou de sponsors qui s’arrêtent du jour au lendemain.

Je vous avoue que je n’ai pas vraiment de réponse… C’est vrai que pas mal de sportifs font énormément de sacrifices pour qu’il y ait une bonne image et…. je ne sais pas, je n’arrive pas à expliquer que ça ne prenne pas mieux. Aujourd’hui, il y a les réseaux sociaux aussi avec pas mal de cotés positifs en terme d’image, mais il y a aussi un revers : j’ai l’impression que n’importe qui peut avoir une image maintenant, et du coup, parfois, ça coûte peut-être moins cher aux marques d’aller vers ce genre de personnes qui ont beaucoup de followers. Il doit y avoir une sorte de rapport qualité/prix (rires). C’est la dure loi du marché j’imagine. Il y a des sportifs pour qui ça marche très bien et d’autres moins. Il y aussi des questions de circonstances. Moi par exemple, j’ai perdu un sponsor au moment où l’industrie du surf n’était pas au mieux et ça, ça peut se comprendre. C’était déjà il y a 5-6 ans et il n’y avait pas encore de marques qui s’y intéressaient car c’était un très petit milieu. Ça s’ouvre un peu maintenant, mais à l’époque, j’avais contacté des banques et des assurances et on nous répondait « des sports d’eau, oui mais que de la voile. » Pourtant il y a plein de sportifs qui ont de belles histoires à raconter et c’est dommage. Après ils ont certainement des projets marketings à suivre… Tant mieux pour la voile finalement.

Est-ce qu’il n’y a pas aussi le côté « sexistes » du surf ? On sait que Pauline Ado, Silvana Lima ou même vous avez pris la parole à un moment donné pour dénoncer les pratiques des sponsors qui ne misaient que sur la plastique de leurs surfeuses. Pensez-vous que ça a évolué ou vous le ressentez encore ?

Je pense que ça évolué, et pas que dans le surf, dans le monde en général, de la pub et des réseaux sociaux. Je pense que tout le monde à soif de santé plus que d’autre chose. La mode c’est le yoga, c’est manger sain… Ça se ressent dans le surf et dans mon milieu où on a moins envie de choses sexy, on a envie d’une sportive avec sa planche, sa vie et tout ce qui va avec. Je pense que les gens on envie de ça, l’esprit sain, sportif, de vraies valeurs plus que d’apparence physique. De toute façon 99 % des femmes ne ressemblent pas à ce qu’elles voient dans les magazines et finalement peut-être que 99 % des hommes ne regardent pas que ça non plus. Ça évolue aussi de la même façon que dans la société, mais c’est compliqué et ça prend du temps.

Vous faites du surf depuis 7-8 ans. Si vous n’aviez pas fait de surf, quel était votre rêve quand vous étiez enfant à la Réunion ?

Je rêvais d’être dehors tout simplement. Je suis quelqu’un qui ne se projette pas trop loin. Je vis plus au jour le jour. Je vis dans l’instant, ce qui se passe. J’ai toujours aimé le surf, l’eau, puis il y a eu des compétitions et tout s’est enchaîne super vite donc je n’ai pas vraiment eu le temps d’y penser et j’aime ça. Aujourd’hui je pense que j’aurais sûrement fait d’autres sports.

Justement, suivez-vous, pratiquez-vous ou êtes-vous fan vous d’autres sports ?

Je fais pas mal de trucs à la Réunion, j’aime la montagne donc je fais des footings, du VTT du vélo de route, du skate. Du yoga aussi, j’adore ça. Un peu de cross-fit/muscu, c’est la base de mon entraînement. La natation aussi.

Avez vous, dans votre sport ou autre, un ou une modèle qui vous inspire ou vous motive ?

Je ne suis pas vraiment dans ce truc-là. J’admire des gens, évidemment. Mon copain fait de l’ultra-trail, il a fait la diagonale des fous et je l’admire pour ça. J’admire ça, les heures d’entraînement qu’ils font alors que ce n’est pas leur métier, ils s’organisent pour faire des entraînements quand il peuvent la nuit et tout, c’est dingue ! Récemment, j’ai lu le livre de Lindsey Vonn aussi quand même. C’est top. J’avais lu celui d’Agassi. En fait, j’adore les biographies et autobiographies, les histoires vraies des gens, sportifs ou pas. Lire et comprendre des choses, comment ils en sont arrivés là. L’autre jour, je regardai Peter Sagan, j’adore. Alors je suis admirative de plein de gens, en fait.

Un mot sur les conditions de surf difficiles à la Réunion, votre île natale, avec en ce moment, les interdictions de certaines plages dues aux attaques de requins. Comment le vivez-vous en tant que Réunionnaise d’abord et pro du surf ensuite ?

Alors clairement, oui, c’est un souci, car pendant la saison off, je n’ai pu surfer que trois fois là-bas en décembre, et une fois, en janvier car il y a eu des cyclones, les conditions n’était pas propres. J’ai pu surfer quelques fois en février juste avant de rependre la saison mais je n’ai pas fait l’entraînement que je voulais. Après, c’est mon métier de surfer toute l’année donc finalement, de faire autre chose ça me fait du bien aussi. Mais j’ai envie de retourner à l’eau. C’est compliqué, mais j’ai fait le choix de rester à la Réunion car c’est chez moi et j’ai ma famille sur place. Mais je pense aux gens qui ont construit leur vie autour de ça là-bas, qui sont venus avec leurs familles… ça devient compliquer de bouger, de vivre de sa passion. Toutes les écoles de surf et les surfshops ont fermé, il en reste un dans une galerie marchande. Il y a plein de gens qui sont partis et et c’est quand même fou que rien ne soit fait. On a la montagne mais aussi la mer. J’ai entendu des choses aberrantes comme quelqu’un qui a dit « les gens qui veulent la mer, ils viennent à Maurice, pas à la Réunion. » Ben non c’est pas vrai, on a la chance de tout avoir. Plus je voyage plus je me dis c’est le paradis sur terre… Enfin c’était le paradis sur terre. La mer… la montagne…